Extraits du livre « La part du colibri » de Pierre Rabhi
La terre, être silencieux dont nous sommes l’une des expressions vivantes, recèle les valeurs permanentes faites de ce qui nous manque le plus : la cadence juste, la saveur des cycles et de la patience, l’espoir qui se renouvelle toujours car les puissances de vie sont infinies. Il nous faudra sans doute, pour changer jusqu’au tréfonds de nos consciences, laisser nos arrogances et apprendre avec simplicité les sentiments et les gestes qui nous relient aux évidences. Retrouver un peu du sentiment de ces êtres premiers pour qui la création, les créatures et la terre étaient avant tout sacrées…
La structure pyramidale repose sur la capacité de chaque individu à servir, par ses acquis, l’idéologie de la productivité quasi illimitée, à répondre à des nécessités de plus en plus superflues qu’elle invente, justifie et propage indéfiniment. Elle implique surtout la création de « besoins » sur les seules bases marchandes pour un profit illimité ; elle stimule la société de consommation dans une ambiance artificielle de pénurie et de manque au cœur de l’abondance.
La première chose dont il faut prendre conscience, c’est que les critères liés à la nature sont indispensables. C’est la nature avant tout qui doit nous inspirer car elle est la seule garante véritable de notre pérennité. Sans elle, aucun projet n’est assuré d’un lendemain. Nous pouvons vérifier quotidiennement la fragilité, la vulnérabilité et les nuisances sociales, écologiques et économiques générées par l’ordre que nous avons établi non seulement en l’ignorant, mais plus encore en agissant contre elle.
On ne dira jamais assez combien l’option agricole moderne a influencé et modelé les structures sociales majeures. Son caractères concentrationnaire est à lui seul un des fondements du paradigme en vigueur. Et nous voici à présent dans un déséquilibre avec un rural en déclin et un urbain qui régurgite et ne garantit plus comme il l’a fait auparavant la survie des citoyens en leur offrant travail, salaire et ce qui en découle.
Les facteurs de risque des maladies viennent en grande partie de la société et de son organisation dans laquelle nous vivons.
Notre conscience de notre finitude nous expose à la peur que nous pensons exorciser par la capture, l’accumulation, le pouvoir et le gain.
Tuer pour se nourrir mais pas pour s’enrichir.
L’homme est rongé par la vanité de croire qu’il peut tout dominer, y compris le destin, Dieu ou la nature.
L’indignation n’a d’utilité que si elle s’inscrit dans un dessein, un sens, une vision. Elle peut alors devenir insurrection.
La réalité absolue de la vie, ce sont les deux puissances, masculine et féminine, qui sont interdépendantes.
Si travailler consiste à répondre à nos besoins, nous sommes aujourd’hui dans un formidable excès. Si l’objectif est d’accumuler et de s’enrichir toujours plus, alors il n’y a pas de limites. Le travail devient alors asservissement.
Poème
Des songes heureux pour ensemencer les siècles…
Sachez que la Création ne nous
Appartient pas,
Mais que nous sommes ses enfants.
Gardez-vous de toute arrogance car les
Arbres et toutes les créatures
Sont également enfants de la création.
Vivez avec légèreté sans jamais outrager
L’eau, le souffle ou la lumière.
Et si vous prélevez de la vie pour votre
Vie, ayez de la gratitude.
Lorsque vous immolez un animal,
Sachez que c’est la vie qui se donne à la vie
Et que rien ne soit dilapidé de ce don.
Sachez établir la mesure de toute chose.
Ne faites point de bruit inutile,
Ne tuez pas sans nécessité ou par
Divertissement.
Sachez que les arbres et le vent se
Délectent de la mélodie qu’ensemble
Ils enfantent,
Et l’oiseau, porté par le souffle, est un
Messager
Du ciel autant que de la terre.
Soyez très éveillés lorsque le soleil
Illumine vos sentiers et lorsque la nuit
Vous rassemble, ayez confiance en
Elle, car si vous n’avez ni haine ni
Ennemi, elle vous conduira sans
Dommage, sur ses pirogues de silence,
Jusqu’aux rives de l’aurore.
Que le temps et l’âge ne vous accablent
Pas, car ils vous préparent à d’autres
Naissances, et dans vos jours
Amoindris, si votre vie fur juste,
Il naîtra de nouveaux songes heureux,
Pour ensemencer les siècles.
Pierre Rabhi
Extrait du Recours à la terre, Terre du ciel, 1995